Bonbons ou légumes : comment notre conso des médias nous rend malade

Flipboard France Blog / January 17, 2018

Chaque année en novembre, des centaines de leaders influents dans le domaine des médias, de la technologie et de la publicité se retrouvent à Ojai, en Californie, pour la conférence annuelle Stream de WPP afin de passer trois jours à discuter des enjeux auxquels le monde et les médias font face aujourd’hui. Stream n’est pas une conférence comme les autres. Le contenu est confidentiel pour encourager le dialogue. Aucun argument de vente, aucune entente, aucun partenariat et aucun achat publicitaire.

Le ton de la conférence de 2017 était à l’acceptation de nouveaux défis. Les douze derniers mois ont largement mis en évidence les problèmes épineux d’un monde évoluant à toute vitesse. Il y a quelques semaines, les géants de la technologie Facebook, Google et Twitter ont du s’adresser au Congrès des États-Unis pour s’expliquer sur le rôle qu’ils avaient joué dans les élections présidentielles. Le paysage médiatique n’a jamais été un tel facteur de division. La confiance du public envers les médias d’information continue de s’effriter. En moyenne, un individu regarde son smartphone plus de 150 fois par jour. Nous faisons les frais d’une surabondance de contenu et d’une véritable dépendance à nos appareils, la dopamine nous collant le nez à l’écran.

Pour Stream 2017, l’analyse des événements de l’année passée a fait naître de nouvelles questions : comment en sommes-nous arrivés là ? Qui est responsable ? Et surtout, comment pouvons-nous remédier à la situation ? Il est vite devenu évident qu’il incombait à chacun de nous, des éditeurs aux plateformes, des annonceurs aux utilisateurs, d’œuvrer pour trouver une solution collective.

La tendance actuelle est de blâmer la Silicon Valley et les algorithmes développés par des compagnies comme Google, Facebook ou Twitter qui savent capter notre attention et nous rendre accros, parfois même au détriment de notre santé mentale. Mais, c’est plus compliqué que ça…

Prenez l’exemple d’un enfant. Placez deux assiettes devant lui, une remplie d’oursons en gelée et l’autre de chou cru émincé. Lorsque vous demandez à l’enfant de choisir, il opte inévitablement pour les friandises. Et il n’y a pas de problème à se faire plaisir de temps à autres, avec modération… Or, les algorithmes qui déterminent quel contenu nous servir sont optimisés pour les clics, pas pour la qualité. Cela revient à nous proposer sans cesse des bonbons tout en éloignant un peu plus le chou. La poursuite du processus aboutit à ce que l’enfant se gave de sucreries alors que les légumes se retrouvent peu à peu totalement hors de sa portée.

Dans cette analogie, les plateformes incarnent clairement le rôle du méchant, mais les participants à Stream ont une vision un peu plus large des responsables.

Dans cette “économie de l’attention” où tous rivalisent d’idées pour captiver le consommateur, chacun se partage la responsabilité du détournement de l’attention, aussi bien les éditeurs qui créent le contenu, que les plateformes qui le distribuent ou les marques qui le financent,

Les éditeurs, qui dépendent largement des revenus publicitaires, se font de la compétition pour afficher leur contenu, et donc leurs publicités, au plus grand nombre de globes oculaires. Même les journalistes les plus intègres ressentent souvent le besoin d’abaisser le niveau intellectuel de leur article pour faire la chasse aux clics. Si un éditeur vend les meilleurs choux qui soient, mais que les gens désirent seulement acheter des oursons, doit-il commencer à offrir des bonbons pour survivre? Mourir dans la dignité en vendant des choux jusqu’au dernier jour ? Ajouter du sucre au chou ?

Les annonceurs qui financent les éditeurs et les plateformes dans le but de toucher leurs cibles commerciales sont également complices. Tant que les agences média continuent d’acheter au CPM et au CPC, les marques perpétuent cette logique qui fait passer la quantité avant la qualité, même si ce geste encourage les mauvaises habitudes.

Nous avons créé un système au sein duquel les impulsions prennent le pas sur l’intention : la gratification d’une bonne dose de sucre l’emporte sur ce qu’on sait meilleur pour notre santé au final.

Régler ce problème ne sera pas chose facile et il n’existe pas de remède miracle. Les participants de Stream 2017, tous acteurs de ce système d’une manière ou d’une autre, ont reconnu ensemble leur responsabilité. Bien qu’il s’agisse d’une problématique complexe, il semble qu’un consensus émerge sur certains aspects : nous devons injecter de l’humanité dans la machine et ne pas laisser des objectifs commerciaux transformer les individus en pixels. Nous devons travailler ensemble pour placer la barre un peu plus haut. Et nous avons beaucoup de pain sur la planche.

~AlexJ est co-créateur de The Reclaim Movement

Cet article a été initialement publié en anglais sur le canal Medium de WPP.